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Littérature française - Page 9

  • Déconnexion

    yves marry,florent souillot,la guerre de l'attention,essai,littérature française,écrans,smartphones,captologie,protection des enfants,éducation,lève les yeux,société,culture,attention,déconnexion« Les bienfaits de la déconnexion commencent à être reconnus. A l’échelle individuelle, sanctuariser des espaces et des temps sans écrans, qu’il s’agisse d’Internet, de la télévision ou du téléphone, s’impose peu à peu comme un besoin impérieux dans une société moderne en proie au burn out. Les entreprises reconnaissent progressivement à leurs employés le « droit à la déconnexion », les vacanciers sont de plus en plus nombreux à opter pour des séjours de « digital detox », et rien de mieux, en matière de prévention auprès des enfants, que des expériences telles que le « Défi dix jours sans écrans ». Ces moments où l’on préserve son esprit des parasitages numériques peuvent susciter l’envie de recommencer. Ils offrent un avant-goût de la joie libératrice de la déconnexion. Cette motivation est la meilleure arme contre l’addiction, en complément de la crainte de ses effets. Toute personne qui a passé un week-end sans smartphone loin de la ville, après une phase de panique liée à la « peur de manquer », a pu éprouver cette sensation de libération. L’esprit, tout à coup, n’est plus assujetti aux impératifs professionnels et sociaux, il est livré à lui-même. Il peut flâner, errer, créer, rêver, et, par moments, renouer avec l’instant présent – avec l’ami attablé à ses côtés, avec ce chat de passage, avec l’arbre qui nous fait face… »

    Yves Marry et Florent Souillot, La guerre de l’attention

    Photo Nelly Kim Chi pour 20 minutes.fr

  • Notre attention captée

    « Nous avons déplacé les bornes, maîtrisé le ciel et la terre.
    Notre raison a fait le vide.
    Enfin seuls, nous achevons notre empire sur un désert.
    Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence :
    la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. »
    Camus, L’Eté (1954)

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    Yves Marry et Florent Souillot citent cet extrait au début de La guerre de l’attention. Comment ne pas la perdre, un essai paru en 2022. « C’est un dérèglement qui n’a rien de naturel, une vague de la force et de la hauteur d’un tsunami, que personne n’a vue venir. Une marée de silicium et de coltan qui a tout recouvert. Cette vague, ce sont les écrans. » En moyenne, chaque foyer en compte sept. Ce bond technologique a changé la société, y compris dans des pays restés longtemps à l’écart de l’occidentalisation. La multiplication des équipements a aussi allongé le temps passé devant les écrans, à communiquer et à se divertir dans le « techno-cocon ».

    L’association « Lève les Yeux ! » créée par les auteurs en juin 2018 a pour objectif une reconquête de l’attention. Ce livre, acte de résistance contre sa captation de plus en plus élaborée au profit d’intérêts privés, vise à décrire tous les aspects du problème et à proposer des solutions. Surtout auprès des jeunes, les premières victimes. C’est pourquoi l’association intervient dans les écoles primaires, par exemple à l’aide d’un jeu de société, « Planète déconnexion ».

    Les dégâts chez des enfants exposés à des contenus traumatisants et chez des jeunes devenus accros aux vidéos, aux jeux vidéo et aux séries sont connus : moins de sommeil, de concentration, plus d’irritabilité, de sédentarité et d’obésité, de myopie, sans parler de la baisse du QI et du langage. Violence virtuelle, accès à la pornographie, primes à la nudité ou aux postures sexy sur les réseaux pour récolter plus de likes. Même les bébés cherchent les stimuli audiovisuels d’un smartphone, nouveau doudou, au détriment des stimuli sociaux fondamentaux comme les regards et les sourires.

    Depuis 2020, en France, la « numérisation de l’éducation » est en marche, malgré son coût économique et écologique colossal. Non évaluée, ni remise en question, même si aucun progrès n’est décelé. Les inégalités se renforcent : les riches mettent leurs enfants dans des établissements privés qui valorisent l’accompagnement humain plutôt que dans le public de plus en plus « numérisé ».

    Plus largement, l’essai dénonce la marchandisation des émotions : « clasher », être saillant, permet d’être vu, suivi, de recevoir des offres marketing. On pousse les gens à devenir « accros » à l’attention des autres. On encourage à « noter » tous les services. L’empathie diminue, le sadisme augmente, l’insensibilité et l’isolement aussi. Les émotions prennent le dessus sur les arguments, incitent aux mobilisations éphémères plus qu’à l’action démocratique.

    La survalorisation des faits divers et des témoignages déteint sur les médias, les journaux télévisés suivent la tendance. 97% de la publicité va aux Gafam, la presse écrite en souffre. Les représentants politiques font de même : « parole courte, rapide, émotionnelle » et répétée, mise en scène… La guerre de l’attention analyse les procédés de la technologie « persuasive » et décrit ce nouveau capitalisme attentionnel basé sur l’accumulation de données transformées en revenus facturables à des annonceurs.

    La manipulation mentale est vieille comme le monde, elle connaît désormais une rapidité et des proportions inédites. Notre vision du monde basée sur la causalité se contente de plus en plus de simples corrélations, nos démocraties imparfaites risquent de se transformer en régimes autoritaires technocratiques. La suite ? Après les humains, les objets connectés… grâce à la 5G.

    Contre cette dérive « inégalitaire, antidémocratique et écologiquement insoutenable », comment réagir ? Le coût énergétique de l’expansion numérique explose. Pour éviter l’impasse, il faut d’abord consommer moins d’énergie. Pour retrouver un mode de vie « juste », il faut se déconnecter et réactiver les liens familiaux et sociaux.

    Marry & Souillot appellent en premier lieu à protéger les enfants : pas d’écran avant cinq ans (recommandation de l’OMS), maximum une heure d’écran par jour entre 6 et 12 ans, pas de smartphone avant 15 ans (comme la fille de Bill Gates). Pas d’écrans le matin, ni pendant le repas, ni avant de s’endormir. Fin du numérique imposé dans l’éducation. Les écoles doivent redevenir des « havres de déconnexion ». Pour l’apprentissage, opter pour des livres plutôt que pour des écrans.

    L’attention est un bien commun à défendre, à protéger. Tout le monde a droit à des espaces sans écrans ni publicité. La pub en ligne devrait être régulée et taxée. Droit à la déconnexion, droit à des guichets administratifs « humains », moratoire sur la 5G, l’essai ouvre plein de pistes de réflexion et de voies pour agir. Il importe de refuser cette captation généralisée de l’attention par les écrans et de donner l’exemple aux enfants de tout ce qui stimule l’attention et libère en profondeur.

  • Pour te plaire

    Josse La nuit des pères.jpg« Pour être digne de toi, pour te conquérir, pour te plaire, pour que tu me remarques enfin, j’ai voulu devenir ton fils. Un autre fils que tu allais aimer. Te souviens-tu de ce jour ? Je l’avais décidé et rien n’aurait pu m’en empêcher. Un après-midi, après l’école, je m’étais glissée dans la salle de bains. J’avais approché une chaise du miroir et sorti de ma poche les ciseaux subtilisés à la cuisine le matin, en espérant que maman n’en aurait pas besoin et qu’elle ne retournerait pas toute la maison pour les retrouver. Les enfants, avez-vous pris les ciseaux ? Son inquiétude à nous imaginer blessés par les lames. C’est dangereux, les enfants, n’y touchez pas. Mais, maman d’amour, sais-tu qu’il existe des blessures bien plus terribles que celles des couteaux de cuisine ? J’ai attaqué le travail. »

    Gaëlle Josse, La nuit des pères

  • Un père et un frère

    La nuit des pères de Gaëlle Josse raconte l’histoire d’un retour : celui d’une fille près de son père, en août 2020. Première phrase : « A l’ombre de ta colère, mon père, je suis née, j’ai vécu et j’ai fui. » On apprendra plus tard le prénom de la narratrice, Isabelle. Son frère Olivier l’attend sur le quai à la gare de Chambéry. Au début de l’été, il lui avait téléphoné pour qu’elle vienne, « depuis le temps. Il faut qu’on parle de papa. Et puis, cela lui fera plaisir. »

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    « Les bras d’un frère. Olivier, le fidèle. Présent, toujours. » Kiné en ville pendant vingt ans, il est revenu au village dix ans plus tôt, à la mort de leur mère. Leur père, dont la violence a pesé sur les siens, est en bonne forme physique, à quatre-vingts ans, mais la mémoire « commence à lâcher. Il a la maladie de l’oubli. » Isabelle, tendue, sent refluer tous ses souvenirs d’enfance et en particulier, sa peur, au milieu de la nuit, quand elle entendait crier son père.

    Elle retrouve les lieux familiers, la maison où son père vit seul à présent. Heureusement la chambre en bas, celle où sa mère a fini sa vie, a été complètement transformée, il n’y reste que ses livres sur des rayonnages. A première vue, il semble apaisé, content de la revoir. Isabelle appréhendait leurs retrouvailles, elle est contente de retrouver son frère sur qui elle a toujours pu s’appuyer.

    Quand son père lui demande des nouvelles de Vincent – il a oublié que son compagnon est mort il y a un an et demi –, elle est incapable de lui répondre, choquée et engloutie dans le souvenir des circonstances du drame, un malaise fatal en plongée, en plein tournage. Isabelle réalise des documentaires sur le monde sous-marin. Un univers où elle se sent bien, à l’opposé de celui de son père, guide de montagne. Une montagne dont elle était jalouse, à laquelle il donnait tout son temps, toute son énergie,  alors qu’il n’avait aucune attention pour sa fille, jamais.

    Souvenirs d’enfance, des parents, souvenirs avec Vincent, les ombres du passé sont lourdes à porter, mais Isabelle « se lève, s’habille, mange, chie [sic], voyage, lit, dort, fait encore des projets pour ne pas tomber tout à fait ». Et puis un soir, de manière inattendue, après un repas à eux trois, son père, pour la première fois, raconte ce qui l’a tourmenté toute sa vie, ce qui s’est passé en 1960 quand il a dû servir son pays en Algérie.

    J’ai été un peu gênée par les choix narratifs : récit d’Isabelle d’abord, adressé au père, ensuite celui du père puis du frère à la première personne, ce qui déséquilibre le roman, à mon avis. La « maladie de l’oubli » (belle formule) et les décisions qu’elle entraîne pour un père et pour ses enfants, Gaëlle Josse en fait l’occasion, pour chacun des trois, d’une plongée dans les profondeurs de soi-même et des liens qui façonnent une existence, douloureuse et nécessaire.

  • Empreinte

    claudie hunzinger,les grands cerfs,roman,littérature française,cerfs,nature,forêt,chasse,affût,observation,contemplation,désolation,livres,culture« Sous l’épicéa, dans la fine couche de givre, il restait l’empreinte d’un corps qui s’y était posé la nuit. Celle d’un grand cerf devenu mulet que l’absence du poids de sa ramure tombée déconcertait ? On dit que les cerfs sont parfois tellement troublés par la chute de leurs bois qu’ils s’isolent du clan. Je me suis couchée à même l’empreinte, sur mes jambes repliées. Je voulais ressentir la perte, porter ma tête comme si toute sa montée osseuse, tout son travail de l’année passée, chapitre après chapitre, était devenu inutile. Était tombé. Ce genre de méditation est assez vertigineux. On est vite pris d’une sorte d’ivresse. Celle du vide, de faire le vide. Tout y passe ? Jusqu’à notre statut d’humain. »

    Claudie Hunzinger, Les grands cerfs